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Lee Kuan Yew: L’architecte-autocrate

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Lee Kuan Yew a gouverné l’État de Singapour de 1959 à 1990. Agissant en tant que son unique père fondateur, il a fait passer sa cité-État du tiers au premier monde en l’espace d’une seule génération.

Singapour était une colonie Britannique négligée: une île sans foi ni loi gangrénée par les jeux de hasards clandestins, l’opium et la prostitution. Des bidonvilles étalés sur une fange marécageuse donnaient l’impression d’une société tenaillée par des problèmes tels que la pauvreté, la maladie et les guerres de gangs. Sans parler des émeutes raciales qui sévissaient au sein des populations tamoule, chinoise et malaise.

Lee a été élu en tant que premier ministre en 1959. Suite à l’échec d’une unification avec la Malaisie, Singapour se retrouve totalement indépendante en 1965, laissant à la tête d’une minuscule cité-État appauvrie.

Lee finit par consolider son pouvoir sur Singapour dans une méritocratie autoritaire conçue pour être incorruptible. À l’aide d’une conscription mobilisant tous les hommes éligibles du pays, il assemble une force de police militaire. Le service national se fait dans l’optique d’inculquer un sens de collaboration et de respect parmi les trois groupes ethniques principaux. Une stricte application de la loi permet de réprimer le crime organisé et la délinquance, ramenant finalement la paix et l’ordre. Un nationaliste civique, Lee devise une identité multiethnique basée sur des “valeurs asiatiques” en utilisant l’anglais comme lingua-franca afin d’unir le pays, historiquement multiculturel. Des lois sont légiférées afin de bannir la formation de partis populistes racistes et les médias sont censurés pour exclure le même type de discrimination. Le mot d’ordre est cohésion. Dans un esprit de collectivisme et de respect mutuel, les divisions raciales et religieuses prennent fin. Singapour atteint une harmonie et une sécurité sans précédent.

Le petit État ne disposant pas de ressources naturelles, Lee fait de Singapour un centre de finances global en convainquant les firmes multinationales, les banques et les investisseurs des quatre coins du monde d’investir dans son île. Des formations professionnelles obligatoires transformèrent la population appauvrie en une main-d’œuvre qualifiée. L’économie monte alors en flèche. Lee s’est fait le champion du développement rapide à travers des infrastructures de renommée mondiale et des services publics passant des soins de santé gratuits à l’éducation ou des logements sociaux. La pauvreté, l’itinérance, le crime, la maladie, la drogue et l’analphabétisme deviennent des soucis d’hier. Grâce à lui, Singapour évolue d’un bidonville grotesque à une cité de verre aux frontières de demain qui se retrouve constamment au sommet des indicateurs de développement, de richesse et de niveau de vie. 

Fraîchement indépendante, la sécurité nationale de Singapour devient un enjeu des plus pressants. Pour dissuader tout envahisseur potentiel de nuire à la souveraineté du pays, Lee adopte la stratégie de la « crevette empoisonnée ». L’invasion de la cité-État par une force envahissante serait une entreprise tellement coûteuse, tellement dévastatrice, que le succès même d’une invasion se solderait par une victoire pyrrhique. L’image d’une petite cité-État entourée de nations musulmanes (potentiellement hostiles) substantiellement plus grandes qu’elle évoque des circonstances similaires à celles d’Israël. Une solidarité mutuelle entre les deux nations aboutira au développement des forces militaires à Singapour. Suite au départ des troupes britanniques du pays en 1971, des commandants du Tsahal sont contractées par le gouvernement singapourien afin de former ses forces de défense armées en se basant sur le modèle de l’armée israélienne. Singapour finira par se définir comme la force militaire la plus technologiquement avancée d’Asie du Sud-Est.

Aussi importantes qu’une puissance militaire développée, des relations diplomatiques soignées sont aussi clé dans la garantie de la sécurité et la prospérité d’une nation. Le pays est l’un des rares ayant des relations diplomatiques avec les États-Unis et la Corée du Nord. Dans l’échiquier mondial, la stratégie de Lee était de se placer favorablement aux yeux de superpuissances telles que la Chine, son principal collaborateur économique d’ailleurs, ou les États-Unis sans tourner le dos à l’un ou l’autre.  

Les accomplissements de Lee sont acclamés internationalement mais viennent à un prix: Singapour est un État policier notoire avec des libertés individuelles limitées et des mesures pénales très répressives pour des infractions autrement mineures. Des histoires d’individus publiquement roués de coups de cane pour avoir laissé leur nom sur des toilettes publiques avec un marqueur permanent peuvent indigner certains mais la punition corporelle est aussi une pratique régionale. Pensons au Brunei ou à la Malaisie. Enfin, Lee insiste que ces mesures sont nécessaires pour définitivement tourner le dos au passé chaotique du pays. En restant sur le sujet des coups de canne, il en a d’ailleurs été victime lors de l’occupation japonaise de l’île durant la Seconde Guerre mondiale et c’est cette expérience qui l’a ancré dans cette conviction.

Lee a renoncé au pouvoir en 1990. Il a néanmoins continué de s’impliquer dans la vie politique de la cité jusqu’à sa mort en 2015, à 91 ans.

Article de : Adib Alouta

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